<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Pandémie : Comment passer de l’improvisation à l’anticipation ?
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Photo : Une malade atteinte de la peste est soignée. Peinture murale de la chapelle Saint-Sébastien à Lanslevillard.
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Pandémie : Comment passer de l’improvisation à l’anticipation ?

par | Dossiers, Épidémies : les leçons de l'histoire, Magazines, Moyen Âge, N°7 Histoire Magazine

Les leçons de l’histoire, du Néolithique (6000 av. J.-C.) au XXe siècle…

La permanence et la dangerosité des épidémies en Europe depuis les temps les plus anciens, leur répétition, leurs caractéristiques et les dégâts importants qu’elles provoquent dans les domaines démographique, économique, financier, social et politique de toutes les sociétés qu’elles atteignent sans distinction de sexe, d’âge ou de catégorie socioprofessionnelle, toutes classes et ordres confondus, interpelle. La situation sanitaire peut varier selon les agents pathogènes et surtout selon les données culturelles. Par exemple, si théoriquement hommes et femmes sont biologiquement égaux devant la « peste », celle-ci tue souvent plus de femmes du fait des pratiques culturelles en usage dans la société. Le rôle des femmes dans les toilettes mortuaires, leur importance dans la prise en charge des malades comme infirmières, lavandières est un facteur de risque aggravé. En outre, chaque pathogène a ses spécificités propres et très peu de pathogènes occasionnent des décès simultanés chez l’homme et l’animal.

« En Europe, les premières traces de  «pestes» remontent à 6000 av. J.-C. et les dernières manifestations à 1921 »

Les épidémies, de la préhistoire à l’époque féodale

Pendant longtemps, les hommes ont décrit les maladies infectieuses sous le terme générique de « peste ». À partir de 1700, l’organisation de la médecine a accompli des progrès importants et ceux-ci se sont accélérés après 1840. Mais l’identification de la peste en tant que telle est relativement récente et ne remonte qu’à 1894, année où le docteur Alexandre YERSIN, médecin épidémiologiste de l’université de Lausanne (CH), a identifié le premier le bacille de la peste à Hong-Kong.

Si les hommes pouvaient tomber victimes de maladies infectieuses depuis le Paléolithique ancien, il est vraisemblable que ce ne soit qu’au Néolithique (vers 6000 av. J.-C. en Europe) que sont survenues les premières crises épidémiques majeures, lorsque la sédentarisation des sociétés, la croissance démographique, les premières constructions d’habitations communautaires et les liens étroits entretenus avec le bétail domestique ont conjointement favorisé l’émergence, la transmission et la persistance des pathogènes. L’homme abandonna progressivement l’économie de chasse et de cueillette pour défricher et cultiver des terres restées jusque-là sauvages, détruisant les équilibres écologiques qui avaient dominé jusqu’ici sans mesurer les conséquences que ses initiatives allaient avoir. Nous sommes un peu mieux documentés à partir du début du IIIe millénaire av. J.-C.. Apparue en Asie centrale à la fin du Néolithique entre 2909-2677 av. J.-C. (Bateni ; Afanasievo), Yersinia pestis a progressé vers l’ouest et a atteint la Pologne au début de l’âge du Cuivre entre 2135-1923 av. J.-C. (Chociwel ; Unetice). Puis, à partir des âges des métaux (Bronze ; Fer) et jusqu’à la conquête romaine des régions occupées par les Latins, Grecs, Celtes, et Ibères, les traces matérielles et les sources de pandémies se font un peu plus fréquentes dans l’espace et le temps, mais demeurent néanmoins rares. En revanche, compte tenu des connaissances acquises sur les maladies infectieuses et mortelles accumulées depuis le XIXe siècle, il est certain que ces régions n’ont pas pu échapper à ces maux tueurs d’hommes quand une épidémie éclatait dans une région frontalière avec la République romaine puis l’Empire romain (Kyle Harper).

Miniature extraite de la Bible de Toggenburg (Suisse) de 1411. Moïse en arrière plan avec deux personnages souffrant de la peste. Peste égyptienne de furoncles. Bible de Toggenburg.

L’une des plus anciennes épidémies documentées dans le monde antique méditerranéen serait « la peste d’Athènes », datée du Ve siècle av. J.-C.. , et attribuée, par le biais d’analyses en ADN ancien réalisées sur des victimes humaines archéologiques, à la fièvre typhoïde. Puis ce fut le tour de la République romaine d’être contaminée à son tour. La « pestilence » frappa Rome, le Latium et la Transalpine en 187, 181, 174, 165, 142, 23 av. J.-C. ; l’Italie le fut plus complètement en 180, 142, 43, 22 av. J.-C.. ; les îles Lipari en 126 av. J.-C. ; l’Afrique l’année suivante. Ces années correspondirent toutes à des guerres de conquête aux limites ou dans les provinces sénatoriales. Les auxiliaires (auxilia) de l’armée romaine qui étaient recrutés dans ces provinces ou chez les cités ou peuples alliés (socii) sont peut-être ceux par qui ces maladies mortelles sont arrivées et se sont propagées. Le fléau ne disparut pas avec l’Empire, bien au contraire, et il frappa de nouveau dans les mêmes régions ou d’autres en 65, 77, 79/80, 117-138 et 148 apr. J.-C. Mais le pire ne s’était pas encore produit à vaste échelle et il survint 17 ans plus tard avec la « Peste Antonine » (165–190 apr. J.-C. ; vraisemblablement attribuable à la variole), dont les effets impactèrent sévèrement et durablement l’Empire romain. À celle-ci succéda, avec des reprises localisées en 178/9, 182/3 et 191 apr. J.-C., la « Peste de Cyprien (249– 279 apr. J.-C.), moins bien connue et d’étiologie encore discutée. Des rechutes se produisirent sporadiquement en 273, 304/5, 312/3, 333, 346, 359-361, 363, 378/9, 383- 385, 395-398, 400, 405-408, 410, 434, 442, 445-447, 451- 454 et 467 apr. J.-C. Le cycle atteint son paroxysme avec la terrible « Peste de Justinien » qui ravagea tout l’Empire (541-750 ; nadir au VIe siècle apr. J.-C.). Ce fut la première épidémie de peste au sens strict ; elle est la mieux documentée et connue de toutes et ses conséquences en Europe ont été profondément durables.

La «Peste Noire» et ses résurgences, jusqu’en 1921

Après une accalmie d’environ trois siècles (fin XIe-milieu XIVe apr. J.-C.) sur l’explication de laquelle les historiens ne sont toujours pas d’accord, la peste fit sa réapparition en Europe (1346-1353 apr. J.-C.) sous ses deux formes « bubonique » (la plus caractéristique) et « pulmonaire » (celle-ci très contagieuse), déployant une force et une violence inouïes, engendrant des dégâts de toutes sortes jamais égalés avant ou après, et constituant pour des siècles l’archétype de l’épidémie. La « Peste Noire » a été une des épidémies les plus dévastatrices de l’histoire (en tout cas en Europe). Elle n’a pas d’équivalent dans l’histoire en tant qu’épidémie unique ayant entraîné la mort de millions de personnes dans plusieurs États organisés et sur un temps très bref. Le bilan humain est catastrophique. Cette épidémie a fait entre 75 et 200 millions de morts pendant 7 ans, de 1346 à 1353 ; elle a provoqué une chute démographique brutale de 30 à 70 % (avec des pics à 80 % dans certains lieux) de la population totale de l’Europe médiévale.

Au-delà même de la grande mortalité qu’elle engendra entre 1348 et 1352 apr. J.-C., elle revêt à partir de cette date un caractère endémique qui provoqua de façon régulière des très fortes ponctions démographiques. Elle fut suivie 7 ans plus tard par une autre vague de peste, celle-ci appelée « Peste des Enfants » (1360-1362) qui, comme son nom l’indique, frappa surtout les jeunes qui n’étaient pas immunisés. Cette seconde peste aurait dû être jugée encore plus inquiétante ou scandaleuse, mais elle marqua moins les esprits. Il est vrai qu’on était habitué à une mortalité très élevée dans les jeunes âges. Survivre aux 12 premiers mois de la vie était déjà une « performance ».

Grosso modo la peste fit par la suite des retours limités, mais violents, d’abord localement en France (1580), puis pendant la guerre de Trente Ans dans toute l’Europe (1628-1632), entre 1720-1722 à Marseille et en Provence en provenance de Smyrne (25 mai 1720), enfin entre 1919 dans différents continents (« Grippe espagnole ») et 1921 (de nouveau Marseille, et Paris). La peste (due au bacille Yersinia pestis) marseillaise de 1720 est intéressante, car les édiles de la ville, bientôt appuyés par la monarchie, mirent en place des mesures exceptionnelles, administratives et sanitaires, pour contenir l’épidémie. Elles firent leurs preuves et on continue à y recourir en pleine crise de l’actuel COVID-19.

À chaque époque et plus encore dans l’Antiquité, la lente reconnaissance du mal a résidé probablement dans la difficulté des médecins et des chirurgiens qui examinèrent les premiers malades de conclure unanimement à une maladie mortelle et en particulier à la « peste » ; ce constat est net au moment du déclenchement de la « Peste Noire » au XIVe siècle et de nouveau en 1720 à Marseille. Toutes ces épidémies ont été mortelles et ont, parfois, anéanti le développement des économies des pays ou régions touchés, provoquant des crises systémiques à répétition et réduisant d’année en année la résilience des États concernés. Elles ont frappé de stupeur les sociétés qui n’avaient jamais connu de telles misères physiques et morales. L’augmentation exponentielle du nombre des décès a entraîné des conséquences démographiques très importantes qui, à leur tour, ont modelé les sociétés sur le long terme. Ce n’est pas étonnant quand on sait qu’il n’existait pas à ces époques de système de santé similaire à celui que nous connaissons.

Mais il importe de nuancer : s’il n’existait pas à proprement parler de système de santé publique, il existait (en tout cas dès le Moyen Âge) des prises en charge publiques de la santé. Cela se concrétisait, d’une part sous forme de médecins salariés par les cités, d’autre part sous forme de législations qui visaient à contrôler l’accès au métier médical (même si le marché médical demeurait pluriel), ou bien encore avec la création des premiers hôpitaux ou maisons médicales qui employaient du personnel médical. La santé individuelle faisait l’objet d’une attention manifeste des médecins et notamment la prévention, plus sûre que les soins comme l’attestent les nombreux régimes de santé rédigés à la demande des élites sociales. Enfin, le Moyen Âge a vu le développement d’une véritable science médicale enseignée à l’université et une très importante production intellectuelle. Est-ce un fruit du hasard si les migrations des Germains, les razzias des Vikings, les mouvements d’expansion des Arabes et des Hongrois commencés au IIIe siècle apr. J.-C. n’ont cessé qu’au XIe siècle apr. J.-C., après le rétablissement de l’ordre et l’instauration d’une paix relative dans les États européens ? La question se doit d’être posée.

« Des changements s’opèrent également dans l’art de la guerre. Les hommes d’armes étant devenus plus rares à la suite de la surmortalité, leur vie n’en est que plus précieuse et ils deviennent plus chers… »

Avec la fin du Moyen Âge, il y a eu un début de « modernité » annonciateur de la Renaissance. Cela se traduisit par les recensements de feux, réalisés à des fins fiscales, et par les registres paroissiaux, ancêtre de notre état civil, pour le contrôle religieux de la population. Entre la fin du XVe et pendant le XVIe siècle apr. J.-C. vont être mis en place de nouveaux moyens du combattre les épidémies : Isolement des personnes infectées ou suspectées de l’être ; mises en quarantaine ; création d’infirmeries de peste et les grandes villes vont se doter d’hôpitaux spécialisés, construits pour l’occasion ou réoccupant d’anciennes léproseries ; nettoyage des rues ; création de médecins municipaux ; chasse aux animaux errants qui se nourrissent de charognes ; confinement avec la fermeture des portes en cas d’épidémie  ; gestion des sépultures (avec les cimetières d’urgence).

L’évacuation des morts par chariot lors de la grande peste de Londres en 1665. Aquarelle de George Cruikshank. Welcome images.

À la fin de la deuxième pandémie (XVIIe-XVIIIe siècles), on a assisté à un renforcement des procédures de lutte contre la maladie qui va mener à une victoire progressive sur la contagion : les localités touchées sont isolées par des cordons sanitaires ; mise en place de bureaux de santé chargés d’appliquer la législation sanitaire ; mise en place d’un réseau international d’informations sanitaires, reposant sur le régime des patentes maritimes de santé et des passeports sanitaires, qui conditionne progressivement le net recul de la peste dans la seconde moitié du XVIIe siècle. Le boom économique et culturel du Quattrocento en Italie se déroule juste après la « Peste Noire », et y est incontestablement lié.

Des changements s’opèrent également dans l’art de la guerre. Les hommes d’armes étant devenus plus rares à la suite de la surmortalité, leur vie n’en est que plus précieuse et ils deviennent plus chers. Aussi on assiste à une double évolution : d’une part, le renforcement des protections de corps (armures complètes de la tête aux pieds) et celles des chevaux (caparaçons), d’autre part, la multiplication des armes de trait et des piques très longues pour tenir l’ennemi à distance le plus longtemps possible et désorganiser son ordonnancement. Cette innovation est destinée à faciliter la manœuvre et à retarder au moment le plus opportun le choc et le corps à corps.

De ces faits sommairement décrits, on peut tirer de nombreux enseignements qui correspondent à autant de thématiques :

Toutes ces épidémies présentent des similitudes, quand ce ne sont pas des identités quant à leurs causes et propagations :

-Persistance et récurrence des maladies infectieuses.

-Présence fréquente d’une origine animale et/ou d’un réservoir sauvage (rongeurs fouisseurs, chauve-souris…), souvent conséquence de catastrophes naturelles, qui engendrent à leur tour des changements environnementaux (climat, tectonique, ralentissement naturel de la Terre ; modification de son inclinaison sur son axe).

-Co-occurrence dans le cadre de changements environnementaux (climat, tectonique…).

-Une origine géographique lointaine focalisée sur l’Asie centrale et l’Orient (par exemple, la Bible en rend compte dans différents versets de l’Ancien Testament).

-Des insectes vecteurs (puces, poux, punaises, éventuellement tiques, fourmis…) contre lesquels l’homme est certes habitué, mais ne sait pas lutter efficacement.

-Dès l’Antiquité et plus encore au XIVe siècle, l’Europe est un monde peuplé, « clos et plein » et rares sont les zones tampons laissant des groupes humains isolés du reste du monde connu.

-Les épidémies de maladies infectieuses tueuses sont plus sévères en contexte de fragilité sanitaire, économique, financière, sociale et politique des populations ; les pauvres sont frappés les premiers et seuls les gens aisés ont les moyens de fuir les zones contaminées.

-Les activités humaines, qui réduisent chaque fois un peu plus l’habitat naturel des animaux sauvages, favorisent l’émergence des catastrophes sanitaires.

-Ainsi, les zones densément peuplées et de surpopulation sont plus durement affectées que d’autres, où la densité de la population est faible.

-Le commerce à grande distance (« routes de la soie » ; voies terrestres et fluviales qui irriguent de marchandises tout le monde connu) favorise la diffusion rapide des maux à partir des navires où marins, marchands et marchandises et leurs locataires invisibles s’entassent.

-Les déplacements des armées à l’intérieur des pays frappés et le long des frontières, leur stationnement dans des camps et des habitats refuges, sont des nids à microbes.

-Les sociétés esclavagistes de l’Antiquité sont extrêmement fragiles : même s’il existe des différences importantes selon les régions de l’Empire romain à son apogée, ce sont les esclaves et les affranchis (équivalent toutes proportions gardées de nos « employés de service » contemporains) qui font tourner toute la machinerie (villes, villae, commerces, artisans, agriculture extensive, industries et transports) ; ainsi, une fois ceux-ci atteints par les maladies, les esclaves maltraités meurent les premiers faute de soins et toute l’économie antique s’effondre.

-L’état sanitaire est toujours problématique et la prétendue grandeur de l’Empire romain est un topos qui ne rend pas compte de la réalité quotidienne dans laquelle les citoyens vivent : installations inadéquates et mal entretenues (bassins d’ablution des temples, bains publics, latrines, égouts, ramassage des ordures, destruction des déchets et des nuisibles, défécation des animaux dans les rues et les cours ; prostituées sacrées qui s’accouplent avec les fidèles sans précautions), amphithéâtres et cirques par lesquels transitent des milliers d’animaux exotiques chaque année.

-À partir du XIe siècle apr. J.-C., l’apparition de la lèpre aggrave encore la situation avec les léproseries qui concentrent le mal aux portes des villes ; pour lutter contre le froid pendant les longues nuits d’hiver, les hommes dorment à plusieurs dans le même lit, serrés les uns contre les autres, parfois juste à côté ou au-dessus des animaux qui les réchauffent de leur haleine.

-Les vêtements sont aussi en cause : tout le monde ne porte pas des chaussures (et fermées) et l’hygiène laisse sérieusement à désirer, facilitant l’infection ; de même que les objets et meubles meublants.

-À l’époque moderne, pour le nettoyage et la désinfection des intérieurs et de leur mobilier, on ne connaît que le vinaigre ; quant aux linges, aux vêtements de toile, ils ne sont pas souvent changés et rarement bouillis par les lingères ; les vêtements de laine sont des habitacles rêvés pour les parasites ;

-Les explications superstitieuses (oracles, prophéties, magie, horoscopes) des épidémies sont souvent à contre-courant de ce qu’il faudrait faire. On a cherché des boucs émissaires en accusant les lépreux, les juifs, des minorités à qui on s’en est pris violemment. Mais le malheur a rapproché les gens sur le plan spirituel, accompagnés en cela par l’action de l’Église.

-La méconnaissance des maladies est un obstacle de taille à leur traitement et plus encore à leur éradication.

Deux personnages s’approchent d’un pestiféré en se masquant le nez et la bouche avec un linge. Gravure sur bois d’Hans Weiditz pour le Trostspiegel im Glück und Unglück de Pétrarque, 1535.

De tout cela l’historien peut s’autoriser quelques conclusions élargies :

-Les pestes ont été communes en Europe et ont rarement eu une extension continentale ; elles n’ont jamais constitué le moteur des effondrements des sociétés, mais ont pu favoriser leur déclin (par ex. la fin de l’Empire romain d’Occident). En outre, elles n’ont jamais eu les effets désastreux qu’elles ont eus sur les peuples premiers (Indiens) des Amériques après 1492 ni avec la civilisation khmère du Cambodge ou celle des Chams au Vietnam, pour ne citer que ces quelques exemples.

-Les faiblesses des sociétés, les difficultés qui les ont assaillies dans et hors des frontières, dont les pestes, se sont entretenues mutuellement et ont renforcé leurs effets.

-Les États unifiés, densément peuplés et aux prises avec de graves problèmes financiers, ont rencontré beaucoup de difficultés à concevoir, organiser et gérer les crises sanitaires.

-De réels progrès n’ont commencé à apparaître qu’au XIXe siècle, d’abord dans les villes, puis les campagnes et les vaccinations contre les maladies les plus terribles ne firent véritablement sentir leurs effets que dans le dernier quart du siècle.

À partir des connaissances acquises au fil du temps et en recourant à l’histoire comparée, des problèmes certes subsistent, mais ils constituent autant de directions de recherches pour l’avenir.

-L’influence de la déforestation qui entraîne la réduction de l’habitat des animaux sauvages, et son rapprochement avec l’homme sont indéniables dans de nombreux cas, mais pas tous. En revanche, l’entrée en contact des deux est à l’origine de toutes les pandémies ;

-L’extension des zones cultivées gagnées sur les forêts avec l’ouverture de clairières, les zones humides, à proximité de grottes, réduit la distance entre les humains, leurs animaux d’élevage et de compagnie et les rapproche un peu plus des nids à virus qui, libérés, cherchent à s’établir ailleurs.

-La répétition rapprochée des épidémies (une constante dans l’histoire, sur tous les continents) est un réel problème qui ne peut être résolu qu’en adoptant une approche systémique de toutes les questions qui se posent aux scientifiques et aux gouvernants.

-Cela ne peut s’envisager que dans le cadre de travaux interdisciplinaires confiés à des équipes de scientifiques à compétences associées.

-Or, il reste beaucoup de recherches à effectuer : la pire chose que l’humanité ait à craindre est un retour de la variole, que l’OMS a déclaré éradiquée de la planète en 1980, mais qu’on continue à cultiver dans les laboratoires, sans plus fabriquer de vaccins ! Quid si le virus s’échappe un jour de l’un de ces laboratoires ?

-Le rôle des transports à longue distance sans précautions sanitaires a constitué partout et à toutes les époques une permanence dans la diffusion des épidémies de peste, ou d’autres maladies tout aussi mortelles.

-La réponse peu adaptée des États au risque sanitaire est explicable pour les époques antiques, médiévale, voire moderne, étant noté que ce constat doit être nuancé selon les lieux et les époques. Par exemple, la ville de Dubrovnik fut la première, en 1377, à expérimenter la quarantaine, suivie par Vérone, Venise et Milan. Une quarantaine qui sera appliquée jusqu’à l’apparition du choléra en France, en 1831. Cela ne l’est plus de nos jours.

-La culture de chaque pays a été un obstacle de taille et l’esprit cartésien ou celui des Lumières ont mis du temps à faire leur office. Il reste encore beaucoup de travail à faire en matière de politique éducative, en particulier en restaurant l’enseignement de l’analyse logique dans les lycées. Ne voit-on pas actuellement fleurir sur internet des propos visant à interpréter (sic) les épidémies, telle celle du COVID-19, comme des signes avant-coureurs des « Temps messianiques », semant le doute et la peur dans des esprits peu instruits, et/ou fragiles ? Peut-on laisser faire au motif de la liberté de pensée et de parole du citoyen quand c’est là l’humanité toute entière qui est concernée ?

-Pour clore cette courte étude, il ne nuit pas de rappeler cette phrase de William McNeill au terme de sa vaste fresque historique sur les épidémies dans l’histoire et qui devrait nous amener à réfléchir sur notre avenir :

« Les maladies contagieuses sont plus anciennes que l’humanité, elles dureront autant qu’elle, et resteront à coup sûr, comme par le passé, l’un des paramètres essentiels et déterminants de l’histoire des hommes » (McNeill, W. H., op. cit. ci-dessous, p. 254).

Alain Deyber est administrateur civil hors classe (h), ancien officier supérieur de l’Armée de terre/ Arme blindée cavalerie, docteur d’Etat en Histoire et Civilisation de l’Antiquité de l’Université de la Sorbonne-Paris IV, historien militaire spécialiste des champs de bataille.

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