Pas à barguigner le génie se révèle dès l’enfance, soit, il rayonne très tôt aux prodiges comme Mozart, Goethe, Léonard de Vinci… soit, se repère à l’incapacité de filocher grégaire crâne au charivari de l’inattendu comme Marie Curie, Einstein, Camille Claudel… Pasteur échappe aux deux registres. Pire, dès l’école primaire malgré des efforts démesurés et une discipline exemplaire, il glissa paria du bulletin scolaire. Qu’importe, le petit Louis s’accrocha et rivé à ses cahiers oublia toute tentation de distraction. Faut dire que son père, simple tanneur, mettait la famille aux sacrifices dans l’espoir de le voir plus tard infiltrer le gratin de la société. Il y croyait à l’avenir de son gamin, le père, galonné sergent par Napoléon à Austerlitz, il voyait les études comme une bataille, claironnait « Avec la volonté, le courage, l’abnégation, on obtient toujours le succès mon garçon, allez, allez, travaille, travaille ! », comme ça qu’il le poussa jusqu’au bac littéraire. De justesse la réussite, pas de quoi pavoiser et encore moins s’apparenter génie, mais voilà, à force de gober le leitmotiv paternel, Louis avait fini par germer une ambition démesurée, chimère absolue, décrocher un jour la gloire universelle. Par les sciences qu’il envisageait la réalisation de la loufoque lubie, ce qui le condamna à tenter l’année suivante un bac scientifique, il s’y prépara avec tant de sérieux qu’avant l’épreuve il écrivit à ses sœurs « Plus j’avance plus cela me paraît facile »… et puis, boum, l’effondrement, raté, le bac ! Loin de pester contre le sort, de fondre en dégradantes jérémiades, se rebiffa à l’orgueil maronnant le crédo paternel « Avec la volonté, le courage, on obtient toujours le succès… travaille, travaille », comme ça, en forcené, qu’il épingla l’indispensable diplôme avec, toutefois, la cruelle déception d’une mention « médiocre » en chimie matière qui allait le révéler.

Louis Pasteur à l’âge de 23 ans. Par Charles Lebayle.
Là encore, par la volonté, le courage, le travail qu’il s’accapara la science rebelle à son crâne, suivit avec ferveur à la Sorbonne les cours de Jean-Baptiste Dumas héritier de Lavoisier, cela, en supplément de ses études à l’École normale de Paris. Plus que jamais bûcheur Pasteur, sous la gouverne de la rengaine « Volonté, courage, travail » se gava de connaissances ce qui, petit à petit, lui forgea un esprit de génie ! Bien badine la première manifestation de ses capacités savantes, en réponse à une question de son professeur goupilla une expérience, à partir d’une macération d’os de boucherie produisit du phosphore. Bonne à éberluer le badaud dans les foires la trouvaille, mais dans l’amphithéâtre se solda par un amusement général. En revanche, sa phénoménale créativité éclata dans le laboratoire d’Antoine Jérôme Balard où, entré comme préparateur, il découvrit la dissymétrie moléculaire qui distingue le vivant de l’inerte. De ce jour, dans le gotha des chercheurs, Pasteur, étiqueté grand spécialiste, mais il s’interdisait la recherche balisée, préférait défricher tous azimuts, s’engouffrait des mois, des années, dans des voies inattendues, ce qui à chaque nouveau départ le condamnait à considérer les résultats des confrères qui l’avaient précédé, reprenait sans vergogne une partie de leurs travaux sans jamais les citer. Malgré ce manque d’élégance, ne se discute pas sa paternité des remarquables avancées comme la fermentation par des organismes vivants, la pasteurisation, l’éradication de la maladie des vers à soie, la révélation de l’existence des microbes et leur capacité de contagion d’un organisme à l’autre, l’invention de l’asepsie, la guérison de la maladie du charbon chez les bovins et les ovins… Invraisemblable l’éclectisme, quasiment unique dans l’Histoire des sciences, en croulait sous les distinctions et les décorations, fût même, élu, lui le chimiste, membre de l’Académie de médecine ! Sous le gilet, les honneurs eurent beau gonfler le buste d’une légère suffisance, dans son tréfonds Pasteur marinait l’aigreur, peccadille sa gloire, circonscrite au cercle riquiqui de l’élite, en rade son rêve de consécration universelle pour lequel il s’était usé à la tâche jusqu’à être fauché par une attaque cérébrale.

Louis Pasteur vaccinant des moutons contre le charbon à Pouilly-le-Fort. Illustration . XXe siècle.
Eh oui, ne le lâchait pas l’indécente ambition, le taraudait avec la même virulence qu’à ses 20 ans de sorte, que sous la carcasse précoce de vieillard, son intelligence restait aux élucubrations les plus hardies. Comme ça qu’à 58 ans, il osa un ultime pari, folie sans nom, inatteignable… vaincre la rage ! Contrairement à la légende, marginal le fléau comme l’écrivit Émile Roux, médecin de l’équipe de Pasteur dans son livre « L’œuvre médicale de Pasteur » : « Cette maladie est de celle qui fait le moins de victimes parmi les hommes. Si Pasteur l’a choisie, c’est parce que la rage est pour tout le monde la maladie effrayante et redoutable ». De son côté le docteur Michel Peter adversaire de Pasteur, rappela devant l’Académie : « .. La rage, non seulement, se déclare rarement chez les victimes d’un animal porteur du germe, mais elle n’est mortelle que dans dix pour cent des cas de morsures en fonction de la virulence du germe, de la localisation et de la gravité des blessures, enfin, de la condition de santé de l’individu. »
Au diable les critiques, Pasteur passa à l’action Comme toujours, à l’abord d’un nouveau domaine, il rechercha les publications de quelques éclaireurs sur le sujet et découvrit ainsi le modèle expérimental mis au point par un vétérinaire, Pierre-Victor Galtier qui en inoculant du mucus de chien enragé à des lapins leur avait transmis la maladie. Trésor les données, dorénavant, les lapins les tubes à essai, je vous épargne, la chronologie et les détails des travaux, après des mois, tenta la contamination directe de chien à chien, mais n’y parvint pas.

Plaque commémorative sur la façade de son laboratoire de la rue d’Ulm à Paris.
Grâce à Émile Roux la solution, en butte à la même incapacité de transmission, il avait fini par inoculer le germe directement dans le cerveau des canidés. Comme la poursuite de la recherche nécessitait le sacrifice de centaines de cobayes et que, déjà, à l’époque des mouvements de défenses des animaux combattaient ce type de pratiques, ils déménagèrent à Marnes-la-Coquette dans une ancienne caserne des régiments de Napoléon III. Là, les chiens pouvaient aboyer, plus personne n’entendait le terrifiant tintamarre. L’élaboration du vaccin exigea l’invention d’un système de culture du germe rabique sur des peaux de lapin plus ou moins sèches avec au final une « souche fixe » à inoculer aux pauvres bêtes. Une nouvelle fois, de Roux l’astucieuse combine, la goupilla en douce et Pasteur qui connaissait sa manie des audaces secrètes profita d’une absence pour lui chiper le principe, l’améliora et, aboutit au résultat espéré depuis trois ans. Dès lors, n’eut plus qu’une idée Pasteur, passer à l’expérimentation humaine, il ameutât les grands pontes des hôpitaux enclins à le suivre et le 2 mai 1884, le docteur Rigal de l’hôpital Necker l’appela pour traiter un sexagénaire., fichu patient, après la première injection, il profita de la nuit pour se carapater, reste qu’à défaut de le soigner, le traitement avorté ne l’avait pas tué. Revoilà Pasteur en situation de vautour, insupportable l’attente, enfin, le 22 juin, l’hôpital Saint-Denis le sollicita pour une petite fille mordue profondément par un chien. Comme la première fois, au docteur Vulcain la responsabilité de l’acte, Pasteur, chimiste, devait se contenter de préciser le point d’inoculation. Tout s’étant passé parfaitement, ils se retirèrent confiants, mais le lendemain la petite rejoignit les anges. Bien que la nouvelle le bouleversât, pas une seconde Pasteur n’envisagea que le vaccin fût cause du drame, pour lui, il avait juste été administré trop tardivement.

Portrait de Pasteur par Nadar.
Supplices le retour à l’attente, lui dévorait ses dernières forces. Et puis, le 6 juillet 1885, le concierge du laboratoire, annonça qu’un homme en compagnie d’une femme et d’un enfant calfeutré dans les jupes le réclamaient, Pasteur se précipita et découvrit Joseph Meister, 9 ans, bras et jambes recouverts de pansements, quatorze au total, la femme, c’était la maman et le costaud, le propriétaire du molosse coupable de l’acharnement aux crocs sur le gosse, des croûtes sur ses mains témoignaient de son intervention pour repousser la bête en furie. Les docteurs Vulcain et Grancher ne s’occupèrent que des morsures de Joseph, rapides leurs conclusions prescrivirent l’administration immédiate de vaccin comme le rapporta Pasteur dans ses carnets « Le 6 juillet à huit heures du soir, soixante heures après les morsures, on inocula sous un pli de la peau de l’hypocondre droit, une demi-seringue de Pravaz d’une moelle de lapin mort rabique le 21 juin et conservé depuis lors en flacon à air sec ». Comme le traitement s’étalait sur douze jours, Pasteur garda en pension au laboratoire le petit Joseph. Triomphe le résultat, le gamin ne développa pas la maladie. Au grand battage la nouvelle. Bientôt de partout, même des États-Unis, d’Ukraine, les victimes de morsures affluèrent, l’équipe vaccina, vaccina, à croire que la maladie rare tournait à l’épidémie. Les opposants comme le docteur Peter hurlaient à la supercherie, rappelaient que la rigueur scientifique exigeait un prélèvement de moelle épinière de la bête ou de sa victime, prélèvement à réinjecter ensuite sur un lapin témoin pour voir si la maladie le terrassait or, l’équipe de Pasteur éludait ce contrôle élémentaire. Il fallut l’affaire du jeune Jules Rouyer pour qu’elle se plie au protocole. Le gamin sauvagement mordu par un chien le 8 octobre 1886, arriva douze jours après au laboratoire et y subit la pratique devenue routine. Tout se passa sans incident, la thérapie terminée, l’enfant regagna son domicile apparemment en pleine santé. Pasteur épuisé partit, lui, se reposer en Italie.
« Le gamin, sauvagement mordu par un chien le 8 octobre 1886, arriva douze jours après au laboratoire et y subit la pratique devenue routine …»
Vite oublié Jules, qu’un succès de plus. Et puis, le 26 novembre tomba la terrible nouvelle de sa mort à l’hôpital et le père désespéré accusait la vaccination d’être la cause du drame. Si grave l’affaire que le professeur Brouardel médecin légal à l’Université de Paris fût chargé de l’autopsie sous les regards de deux représentants de Pasteur et de deux témoins mandatés par la famille Rouyer. Dans son livre « L’Oeuvre médicale » Adrien Loir neveu et assistant de Pasteur raconte qu’il réclama au professeur le bulbe rachidien et le plaça dans un flacon stérile pour le porter à Roux qui l’attendait au laboratoire avec deux lapins dans une cage pour leur inoculer un extrait de matière. Las, au bout de deux semaines les grignoteurs de carottes se paralysèrent signes indubitables que la rage les infectait, donc, bien elle, qui avait terrassé le petit Jules Rouyer malgré la vaccination. À ce stade Pasteur risquait la flétrissure éternelle, mais Brouardel effrayé des conséquences de la révélation convoqua Roux en catimini, lui demanda son avis sur le vaccin et comme le médecin le rassura, il lui dit « pour éviter un recul immédiat de l’évolution de la science, nous devrons tous les deux mentir lors de leur parution devant l’Académie de médecine. Et le 4 janvier 1887, ils tinrent crânement le serment, Roux le premier débita la jolie fable des deux lapins toujours en heureuse paresse dans leur cage 40 jours après l’inoculation d’un extrait de bulbe, imposture d’autant plus crédible que Brouardel attribua sans ciller la mort de l’enfant à une insuffisance rénale ! Classée l’affaire, toutefois, un dernier coup du sort faillit relancer la polémique, un britannique dénommé Smith victime d’un chat enragé et vacciné selon la procédure passa lui aussi à trépas, Pasteur revenu d’Italie, fit établir que le bonhomme n’était qu’un ivrogne et servit aux journalistes que la rage trouve un terrain fertile dans l’alcoolisme ce qui rend moins efficace le vaccin. Le sens inné de la communication Pasteur, étouffa définitif les critiques en annonçant son intention de fonder à Paris un institut modèle consacrer à la rage, cela sans recours à l’État, avec juste à l’aide de dons et de souscriptions internationales. Cette fois, il la tenait sa gloire universelle, sa théorie érigée en dogme malgré les tricheries, devint le fondement de la médecine occidentale. Par la volonté, le courage, le travail : le couronnement.
Marc Menant est journaliste et éditorialiste dans l’émission FACE À L’INFO sur CNEWS du lundi au jeudi de 19h à 20h.











