<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> [Entretien exclusif avec M. Ngô Ðình Quỳnh] : Viêtnam 1955-1963, l’histoire occultée
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Photo : Ngô ñình Quÿnh, alors âgé de onze ans, figure en tenue mandarinale, devant son père, Ngô ñình Nhu, le Père Josephde la République du Sud-Vietnam, et le président de la République, Ngô ñình DiŒm (1901 - 1963) son oncle, aux côtés de l’archevêque de Huë, également son oncle.)
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[Entretien exclusif avec M. Ngô Ðình Quỳnh] : Viêtnam 1955-1963, l’histoire occultée

par | N°7 Histoire Magazine, XXème siècle

«Un peuple pendant des décennies sous les bombes, et désormais sous naphtaline.»

M. Ngô ñình Quỳnh. @ Collection privée

Le temps passe, les témoins disparaissent, le Vietnam demeure. Les historiens font leur travail et s’interrogent, tout simplement parce que la figure du président Ngo Dinh Diem (1955 – 63) demeure atypique. La matière est dense. On dispose d’ouvrages et nombre de « mea culpa », comme l’ouvrage « Avec le recul » du ministre de la guerre US Mac Namara, un des principaux partisans de l’escalade. Le chef de la CIA de l’époque, William Colby, conforte dans ses mémoires « Lost Victory » une triste donnée : alors que M. Ngo Dinh Quỳnh était alors âgé de dix ans, son père, M. Ngo Dinh Nhu, principal conseiller et frère puîné du président Ngo Dinh DiŒm, a été poignardé à mort avec le président de la République du Sud-Vietnam, le 2 novembre 1963, par les affidés des généraux putschistes. Des militaires ouvertement encouragés dans ce coup de force et cette « éviction » du président par H. Cabot-Lodge, ambassadeur US à Saïgon et partisan de la guerre. Nous avons rencontré à Bruxelles M. Ngo Dinh Quỳnh …

Carte du Vietnam.

Pourquoi cet oubli du Viêtnam, alors que des générations entières ont été marquées dans leur chair par ce conflit qui a duré un demi siècle (1945-1975) pour atteindre à certains moments une violence apocalyptique? Avec tant de victimes et des centaines de milliers de boat-people (1975-79) dont les enfants et petits-enfants vivent désormais en Occident…

Ngô Ðình Quỳnh : Le peuple de mon pays est maintenu sous naphtaline. Le Viêtnam compte au nombre des quatre derniers États au monde — Chine, Corée du Nord, Cuba — à se réclamer du communisme. Clairement, il ne décolle pas. Cent millions d’habitants, une grande variété de richesses naturelles… deuxième producteur mondial de riz et de cacao, troisième producteur de caoutchouc… la liste est longue. Le Viêtnam est un grand pays, et pourtant il ne pèse pas sur l’échiquier mondial, si on le compare à la Corée du Sud, la Thaïlande, Taïwan… Mais je ne vous apprends rien. Le communisme n’enrichit que sa nomenklatura… et le temps passant, la situation empire. Le niveau de corruption est difficilement imaginable. Le pouvoir communiste vend notre pays par lots ! Vu d’Europe, c’est peu visible. Regardez cette carte récente du Viêtnam, indiquant les régions et villes « allouées » aux Chinois. C’est ahurissant ! (Voir carte de la présence chinoise sur tout le territoire du Viêtnam) Et je cite ici une déclaration de l’ancien Secrétaire Général du Parti Communiste vietnamien (1986-1991) Nguyển Van Linh (1915-1998) : « Je sais également qu’en nous appuyant sur la Chine, nous perdrons notre pays, mais il est préférable de perdre notre pays que de perdre notre parti ». Cela en dit long sur les priorités du régime communiste actuel.

« Je sais également qu’en nous appuyant sur la Chine, nous perdrons notre pays, mais il est préférable de perdre notre pays que de perdre notre parti ». Déclaration de l’ancien secrétaire Général du Parti communiste vietnamien (1986-1991) Nguyển Van Linh (1915-1998)

«… il n’y avait pas chez nous de rejet primaire contre la culture française. Mon père était le premier Vietnamien diplômé de l’École des Chartes, à Paris …»

Cette période de la présidence de votre oncle, 1955-63, est occultée à l’époque actuelle. On l’oublie parfois, mais l’histoire du Viêtnam ne s’arrête pas aux accords de Genève (1954) ni au retrait consécutif des Vietnamiens non communistes au sud du dix-septième parallèle, les dernières troupes françaises du général Ely ayant quitté Saigon fin 1956…

C’est si évident… prenons un peu de champ, si vous le voulez bien. Mon pays a été fondé au troisième millénaire avant Jésus Christ. Nous n’avons attendu personne pour être ce que nous sommes : indépendants. Indépendants des puissances voisines et d’autres, moins proches géographiquement. Qui l’ignore aujourd’hui ? L’Histoire bascule à nouveau vers l’Asie. Disons que des visiteurs un peu importuns s’en sont allés. Les pires ne furent pas les Français. Après leur départ du Nord et l’installation d’Hồ Chí Minh — aidé de l’URSS — à Hà Nội, un million de personnes ont afflué vers le Sud. Entendons-nous bien : il n’y avait pas chez nous de rejet primaire contre la culture française. Mon père était le premier Vietnamien diplômé de l’École des Chartes, à Paris. Comme vous le savez, une partie importante des archives du Viêtnam, qui se trouvaient dans la ville impériale de Huế, ont été détruites par les partisans de Hồ Chí Minh. « Du passé faisons table rase ». Qui peut prétendre aimer son pays en brûlant ses archives ?

«…Tout au long de sa présidence, les Việt Cộng issus du Nord multipliaient pour leur part escarmouches et tentatives pour s’infiltrer au Viêtnam du Sud, mais ils demeuraient bloqués par la politique des «hameaux stratégiques» initiée par mon père….»

Après le départ des Français, il ne se passait plus rien au Viêtnam susceptible de susciter la curiosité de l’opinion internationale. Mon oncle, le président Ngô Đình Diệm se débattait pour sortir le Viêtnam du Sud du marasme politique et économique, se battant contre les sectes Hoà Hảo, Cao Đài et Bình Xuyên qui contrôlaient plusieurs provinces. Et pas les moindres ! la capitale Saigon elle-même ! Vu de Paris, cela peut sembler irréel, mais ces sectes empoisonnaient la vie au quotidien. Pour leur part, les puissances étrangères « restaient au balcon » et observaient : le président allait-il parvenir à s’en sortir seul ? Mon oncle y est parvenu, et c’est ce qui l’a rendu si cher aux yeux du peuple vietnamien.

Tout au long de sa présidence, les Việt Cộng issus du Nord multipliaient pour leur part escarmouches et tentatives pour s’infiltrer au Viêtnam du Sud, mais ils demeuraient bloqués par la politique des « hameaux stratégiques » initiée par mon père. Je reparlerai plus loin de ces hameaux. Cette résistance ne donnait pas de quoi faire la une des journaux occidentaux… Et donc, de 1955 à 1963, on oublia le Viêtnam.

Vue aérienne d’un « hameau stratégique ».

Au milieu de 1963, le monde commença à entendre parler d’une soi-disant persécution anti-bouddhiste menée par le gouvernement. On le sait aujourd’hui, les suicides par le feu des bonzes furent un montage, une cabale montée de toutes pièces par les communistes qui avaient tout essayé et échoué jusqu’alors dans de précédentes tentatives, de précédents scénarios, utilisant tel ou tel secteur d’opinion. Mais le plus étonnant n’est pas là : cela parut de prime abord paradoxal, mais les médias américains reprirent à leur compte l’instrumentalisation de ces immolations et visèrent ostensiblement à discréditer le président du Sud Viêtnam. Une campagne de presse ! En vérité, on le sait aujourd’hui, le but était simple : préparer l’opinion publique à accepter la chute de mon oncle, jugé trop indépendant, et l’arrivée d’un pouvoir proaméricain. Relevons au passage que mon oncle le président, homme pondéré, homme respectueux des sagesses, n’avait vraiment pas le profil d’un persécuteur… et bien d’autres chats à fouetter qu’à s’en prendre à ses compatriotes bouddhistes ! C’est vous dire le niveau de la campagne de presse…

Après le départ des troupes et administrations françaises, le Viêtnam n’a pas eu le discours larmoyant qu’on peut parfois entendre ailleurs. Il a fallu organiser la défense du Sud Viêtnam. Sans les Français, sur le départ. Et sans les Américains…

L’idée des « hameaux stratégiques » provient de mon père. Quiconque connaît le Viêtnam sait la profusion des minorités, ses particularités géographiques, en un mot sa grande diversité. Les « hameaux stratégiques » consistaient en une chose d’apparence simple, mais tout à fait adaptée, parce que la paysannerie était très isolée. Notre armée n’était pas en mesure de protéger tous les villages. Il fallait donc les rendre militairement autonomes pour résister contre l’infiltration des Việt Cộng, cette avant-garde de l’armée communiste du Nord-Viêtnam. Ce n’est pas tout. Des termes comme « sectes » ou « pirates » avaient alors un sens très concret, des réalités qu’il fallait démanteler. Vraiment, ce n’était pas une sinécure que de diriger le pays ! Le patriotisme de mon père, de mon oncle le président, était d’autant plus méritoire que l’un était historien et archiviste.

« Hô ChÍ Minh avait fait enterrer vivants les frère aîné et neveu du président Diêm »

Madame Nhu avec le vice président Lyndon Johnson. Elle compte au nombre des figures féminines de l’Histoire, au même titre que Éva Peron ou Isabelle la catholique. On la voit ici lors d’un dîner à la Maison Blanche en mai 1961. Lyndon B. Johnson l’invite à visiter son ranch texan. Madame Nhu lui réplique en manière de boutade qu’elle s’y rendra quand il sera président. Johnson l’informe : «un jour, je serai président des États-Unis.» Ce qu’il deviendra. Après l’assassinat de J.F. Kennedy, le 22 novembre 1963. A Dallas, Texas.

Et mon oncle le président, était d’autant plus méritoire que l’un était historien et archiviste. Et mon oncle, le président, ancien séminariste, aurait de loin préféré une vie religieuse à la charge présidentielle.

Les historiens contemporains, y compris les historiens communistes vietnamiens reconsidèrent aujourd’hui Ngô Ðình Diêm, qui fut président de la République du Sud-Vietnam de 1955 à 1963 …

La sincérité, l’intégrité de Ngô Đình Diệm expliquent pour partie son charisme. Cet homme un peu enveloppé avait une bonhomie, une simplicité de vie et de mœurs qui le rendaient populaire. Son courage physique et son souci de vrai Chrétien pour préserver chaque être humain ajoutaient à sa popularité. L’entretien qu’il eut avec Hồ Chí Minh est devenu à cet égard légendaire. Ce dernier l’avait retenu prisonnier en 1945 pendant plusieurs mois. À l’issue de cette séquestration, le leader communiste avait tenté de le convaincre de travailler pour lui, en lui promettant monts et merveilles. Mon oncle lui a répondu fermement qu’ils n’avaient absolument rien en commun. Et il l’a accusé d’avoir fait ensevelir vivants — ce qui est l’effroyable vérité, on le sait aujourd’hui — son propre frère aîné Ngô Đình Khôi avec son fils unique. Hồ Chí Minh n’a ni nié ni reconnu, mais a changé de registre. Et il l’a menacé. Mon oncle lui a calmement répliqué : « Regardez-moi, voyez-vous quelqu’un qui a peur ? » Hồ Chí Minh a dû reconnaître que non. Et il l’a relâché. Ngô Đình Diệm a eu cette formule qui le résume : « Si je recule, tuez-moi. Si j’avance, suivez-moi. Si je tombe, vengez-moi. » Clairement, les Sud-Vietnamiens l’aimaient. Par comparaison, l’empereur Bảo Đại était connu pour sa vie partagée entre casinos et femmes, Cannes et Monte-Carlo, et Hồ Chí Minh pour sa cruauté et le peu de cas qu’il faisait de la vie d’autrui. Le temps passant, les communistes nord-vietnamiens suivirent le triste exemple de leur chef et acquirent la réputation de n’avoir aucun scrupule à assassiner les personnes leur faisant obstacle, tels, entre tant et tant d’autres, le frère aîné du président, Ngô Đình Khôi et son fils unique. Je me répète, le peuple vietnamien était attaché au président Diệm. Dirigeant le pays entre 1955 et 1963, le président était clairement plébiscité, quoi qu’on ait pu écrire aux États-Unis, voire en Europe de l’Ouest. Mais il se trouvait confronté aux nombreux problèmes que j’ai cités, telles les tentatives continues d’infiltration dans le sud par les communistes du nord. Ces tentatives prenaient la forme de guérillas incessantes. N’oublions pas les ultimes manigances de certains colons français refusant de « lâcher le morceau » et rêvant d’une reconquête de leur paradis perdu. Enfin, derrière leurs déclarations de bonnes intentions, le « support » des Américains se traduisait dans les faits par ceci : le temps passant, ils s’avéraient plus intéressés à faire main basse sur le sud Viêtnam qu’à l’aider à acquérir son autonomie.

Replaçons-nous « en situation ». À cette époque, au tournant des années cinquante et soixante, les États-Unis dominaient le monde libre. Certains généraux sud-vietnamiens — pas les meilleurs ! — se sont dit que s’ils bénéficiaient de l’appui de la CIA, du gouvernement américain et donc de la puissance de l’armée US, ce serait « in the pocket » et qu’ils vaincraient Hồ Chí Minh. C’était une erreur, la suite l’a montré. Ils ont eu foi en la force des armes, pas en celle de l’esprit.

«… le président et mon père étaient d’abord des patriotes, qui ne voulaient pas d’ingérence étrangère, d’où qu’elle vienne. Mais le Viêtnam, mon pays, n’existait plus aux yeux des grandes puissances d’alors que comme domino d’un jeu mondial…»

Face à eux, le président et mon père étaient d’abord des patriotes, qui ne voulaient pas d’ingérence étrangère, d’où qu’elle vienne. Mais le Viêtnam, mon pays, n’existait plus aux yeux des grandes puissances d’alors que comme domino d’un jeu mondial. On a vu le résultat.

Rencontre entre le président américain Eisenhower et le président Diêm en 1957.

Aujourd’hui, le temps passant, la vérité peut-elle éclore ?

Personne à l’époque n’a pris la peine de constater un fait, un simple fait : le Nord faisait la guerre, une incessante guérilla menée contre le Sud, mais le Sud ne recherchait que la paix chez lui. En toute indépendance. Pour son malheur, aucune grande puissance, France jusqu’en 1954, Chine, Russie, États-Unis au-delà, n’acceptait que le Viêtnam soit autre chose qu’un domino dans la partie que se livraient alors les deux blocs. Aujourd’hui, pour qui cherche avec sincérité à connaître la vérité, il suffit d’analyser objectivement les faits établis et non de se fier aux jugements colportés par la presse occidentale et la propagande communiste.

À l’époque, cette dernière présentait le Président Ngô Đình Diệm comme un fantoche des Américains. On voit bien que ce n’est pas le cas, puisque ce sont les Américains eux-mêmes qui ont fomenté sa chute, sa mort ! Cela apparaît très clairement dans le « Dossier secret du Pentagone » révélé en 1971 par le New York Times et le Washington Post.

Les adversaires du Président le présentaient comme un dictateur, un despote sanguinaire, un catholique buté ayant persécuté les bouddhistes à la fin de son gouvernement, et qu’il était donc urgent de « mettre à l’écart ». Une commission des Nations-Unies chargée d’enquêter sur « l’affaire bouddhiste du 24 octobre au 3 novembre 1963 » a pour sa part, conclu dans un rapport étayé, circonstancié, de 234 pages « qu’il n’y a eu ni discrimination ni persécution religieuse » sous la présidence de mon oncle.

J’ai décrit les détails de cette réalité dans mon livre La République du Viêtnam et les Ngô Dinh publié il y a quelques années aux éditions de L’Harmattan.

M. Ngô Ðình Nhu, conseiller de son frère le président Ngô ñình DiŒm, face à Robert Kennedy, ministre de la Justice des États-Unis, en 1961.

Vous avez publié les Mémoires de votre mère, Madame Nhu, que l’entourage de J.F.K. nommait le «dragon» pour la diaboliser. Elle était d’abord une mystique, évoluant dans un monde catholique. Une dimension totalement occultée par les différents ouvrages parus sur la période 1955-1963. Mais, sans cette dimension, on ne comprend rien…

Vous avez raison. Née en 1924 à Hà Nội, ma mère Trần Lệ Xuân provient d’une famille bouddhiste. En revanche, ma lignée paternelle fait partie des premiers Vietnamiens convertis au catholicisme.

Devenue Madame Nhu par son mariage en 1943 avec mon père, Ngô Đình Nhu, prince issu en ligne droite du premier empereur du viêtnam Ngô Quyền, intronisé en 939 après J.-C., elle entre ainsi dans une dynastie convertie au catholicisme dès le quatorzième siècle. Ce ne sont pas les missionnaires français arrivés « dans les plis du drapeau tricolore » de l’armée de Napoléon III, mais un franciscain italien, originaire de la région du Frioul-Vénétie qui, aux alentours de 1325, avait avec douceur mené à la conversion les membres de la dynastie dont, après mes parents, je procède.

Quand on regarde ses interviews accessibles sur les réseaux sociaux, il est vrai que ce qui apparaît comme une évidence chez ma mère, c’est sa flamboyance. Mais en fait sa force, sa détermination proviennent de sa foi, de son mysticisme. Elle avait des inspirations « mystérieuses » qui lui donnaient cette clairvoyance politique incompréhensible pour autrui. Et chaque fois, elle voyait juste ! Mon père lui demandait parfois dans les moments les plus délicats : « comment le sais-tu ? » Elle lui répondait : « je le sais, c’est tout. » Et mon père avait la sagesse de suivre son conseil. C’est d’ailleurs pour se concentrer sur sa vie mystique que ma mère a cessé de s’exprimer une fois mon père et ma grande sœur disparus.

Dès 1961 — les archives désormais partiellement déclassifiées le révèlent — une partie de l’entourage de JFK, proche de la CIA et l’ambassadeur américain au Sud-Vietnam, Henry Cabot-Lodge veulent faire chuter le président Diêm, jugé trop indépendant. Les médias américains le taxent dès lors de «despote». Diêm était un chrétien qui, à la fureur de ses généraux — devenus putschistes avec le soutien de l’ambassade US —, faisait relâcher les prisonniers vietcongs… pour lui, des « compatriotes fourvoyés ». La CIA a décidé, selon son doux euphémisme, de s’en « séparer ».

Les conjurés commencèrent par ma mère. Elle devait impérativement être écartée, car elle avait déjà fait échec à une précédente tentative de coup d’État en révélant aux putschistes que le président Diệm n’était pas en danger et qu’il était donc vain d’attaquer le palais et massacrer la garde présidentielle comme il avait été dit aux soldats fourvoyés, qui croyaient la garde attaquant paradoxalement celui dont cette garde avait pour mission la protection. C’était le 11 novembre 1960. Elle a fait preuve de sa légendaire clairvoyance et a suggéré la riposte adaptée. Elle a fait envoyer des troupes pour reprendre la station radio officielle et émettre un appel afin d’éclaircir le quiproquo. Le putsch a immédiatement pris fin.

On connaît aujourd’hui la vérité : le gouvernement américain a programmé l’assassinat de votre père et de votre oncle. Votre mère avait-elle été écartée volontairement dans le but de la neutraliser ?

Pas exactement. Kennedy n’avait pas de politique ; il était tiraillé entre diverses factions, « faucons du matin et colombes le soir », colombes auxquelles se rattachent son frère Robert, ministre de la Justice. Il ne voulait pas vraiment la mort de mon père et de mon oncle, mais à force d’hésiter, il s’est laissé « prendre la main » par Cabot Lodge, son ambassadeur au Viêtnam, lui un « faucon absolu », outre la CIA, et s’est ainsi trouvé devant le fait accompli. On peut donc l’affirmer. Certains Américains proches du pouvoir sont à l’origine de ce double assassinat. Et le Président Lyndon B. Johnson l’a justifié par la suite !

«… [Kennedy] ne voulait pas vraiment la mort de mon père et de mon oncle, mais à force d’hésiter, il s’est laissé «prendre la main» par Cabot Lodge, son ambassadeur au Viêtnam, lui un «faucon absolu», outre la CIA, et s’est ainsi trouvé devant le fait accompli…»

La Maison Blanche voulait en fait éloigner le couple Nhu, et exerçait de fortes pressions dans ce but. Mon père refusait de quitter son frère le Président Diệm. Ma mère a accepté uniquement parce que Monseigneur Astar, le nonce apostolique au Viêtnam, est venu en « cappa magna » lui demander au nom du Pape de partir en mission pour proclamer de par le monde la vérité sur notre pays.

Le président DiŒm et l’ambassadeur américain au Sud-Vietnam Henry Cabot Lodge (1902-1985). Ce dernier fut directement impliqué dans l’assassinat du président Diêm et de son frère M. Nhu.

Après le double assassinat de Ngô Ðình DiŒm et de votre père le 2 novembre 1963, les Américains n’ont pas eu à se louer de la suite…

Comme je le relève dans mon ouvrage cité plus haut, jusqu’à huit gouvernements se sont succédé les deux années suivantes. Un gouvernement par trimestre… Clairement, les putschistes et leurs créatures n’avaient ni la carrure pour gouverner ni le soutien du peuple sud-vietnamien. De Gaulle, plus lucide, avait convoqué l’ambassadeur américain pour lui dire ceci : « Notre propre expérience nous a appris que les hommes détenant le pouvoir en vertu d’une ingérence étrangère sont voués à l’échec ».

« Quiconque a pour alliés les Américains n’a pas besoin d’ennemis ».

Pour ma part, je vous laisse constater la conséquence : la guerre du Viêtnam, 1964-75, onze ans d’un conflit dévastateur, des centaines de milliers de vies perdues, des blessés, mutilés, des familles brisées par millions, la première défaite militaire américaine de l’Histoire. Une défaite qui résulte d’une trop grande confiance dans la puissance matérielle et d’une ingérence assassine, au mépris du pouvoir légitime d’un pays indépendant. Et maintenant, voyez mon pays, là où il est… Ma mère avait trouvé la phrase qui résume : « Quiconque a pour alliés les Américains n’a pas besoin d’ennemis ».

LE VIETNAM CONTEMPORAIN EN QUELQUES DATES :
– 1940-1944/5 : L’armée japonaise occupe le Viêtnam,
sous le pouvoir nominal de l’amiral Decoux représentant l’État français
– 1945 : Proclamation de l’indépendance du Viêtnam
– 1949 : Mao maître de la Chine. Désormais, des centaines de milliers de «volontaires» communistes
chinois passeront la frontière du Tonkin
– 1950 : Déroute française Cao Bằng . Le Tonkin échappe
à l’administration française.
– 1954 : Capitulation française de Diên Biên Phu, à la
lisière du Laos.
– 1954 : Accords de Genève. Le Viêtnam est coupé en
deux, les communistes contrôlant la zone au nord du
17ème parallèle.
– 1955-63 : Ngô Đình Diệm, président de la République
du Viêtnam (sud)
– 1963 (2 novembre) : La CIA fait assassiner le président
de la République Ngô Đình Diệm, et son principal
conseiller.
– 1964-75 : présence militaire américaine au Viêtnam.
En 1968, le général Westmoreland commande 560.000
soldats. Il en réclamera 700.000 à la fin de l’année.
– 1964-1975 : succession de gouvernements militaires
au sud, dont le plus connu demeure celui du général
Thieu (1923-2001)
– 1968 : offensive du Thêt
– 1971-73 : négociations de Paris Kissinger- Le Duc Thô
– 1975 : l’armée du Nord-Viêtnam s’empare de Saigon
– 1975-2000 : après 25 ans de régime communiste, le
Viêtnam connaît un PIB par habitant de 388 dollars
US par an.

M. Ngô ñình Quỳnh. Né en 1952, il est le fils de Madame Nhu (1924-2011) et de M. Ngô ñình Nhu (1910-1963) conseiller spécial et frère du Président du Sud-Viêtnam (1955-1963) Ngô ñình Diêm (1901-1963). Père et oncle ont été assassinés le 2 novembre 1963 à l’instigation de la CIA. Le double crime a été par la suite justifié par le président Johnson. La guerre du Viêtnam (1964-75) commençait …

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