<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> 1940, Chars français contre panzers allemands : trop peu, trop tard ?

En France les idées reçues ont la vie dure. On entend encore souvent que l’armée française de 1940 n’avait rien vu venir. Qu’elle n’avait pas assez de chars et que ces derniers étaient moins bons que ceux de l’adversaire. Mais qu’en est-il vraiment ?


En 1940, la France a déjà une longue expérience en matière de blindés. Si les Anglais sont les premiers à utiliser les « tanks » en 1916, les Français sortent dès 1917 le Renault FT de six tonnes. Armé d’un canon de 37 mm ou d’une mitrailleuse, il possède surtout la toute première tourelle orientable à 360°. Il est aussi le premier à être fabriqué et utilisé en masse. En 1918, les unités disposent de 2700 Renault FT qui contribuent largement à la victoire finale face à l’Allemagne qui n’a produit que 20 panzers. Si la France victorieuse est ruinée, l’armée française apparaît comme la grande spécialiste des chars d’assaut. Le monde entier lui envie ses petits FT. Les Américains en produisent 950 sous licence, tandis que Renault les exporte dans 25 pays à travers le monde. Quant à l’Allemagne vaincue, le traité de Versailles lui interdit formellement de construire ou de posséder le moindre char.

Somua S 35. Musée des blindés de Bonvington.

Dans les années trente, des chars français modernes conçus et produits à temps.

Malgré le retour à la paix, les différents fabricants français continuent à mener des études pour imaginer les chars du futur. L’arrivée au pouvoir d’Hitler et le réarmement de l’Allemagne leur donnent raison. Dès le mois d’avril 1935, l’armée peut passer une première commande de 300 Renault 35. Ce char léger de moins de 8 tonnes constitue une évolution du Renault FT. Comme son prédécesseur, le R35n’a que deux hommes d’équipage. Armé du même canon de 37 mm que le Renault FT, il possède aussi une mitrailleuse et un excellent blindage. S’il ne fait que 20 km/h en tout terrain, cette vitesse est adaptée pour un engin que les Français destinent à l’accompagnement des fantassins. Mais d’autres chars plus puissants et plus modernes ont déjà été conçus par les ingénieurs français. Parmi eux deux blindés apparaîtront en 1940 comme les meilleurs au monde. Le prototype du char moyen de 20 tonnes, le Somua S35 sort dès 1935. Doté d’un équipage de trois hommes, il est rapide avec une vitesse de 37 k/h en tout terrain. Bien protégé et bien armé grâce à son redoutable canon antichar de47 mm, ce char est destiné à la cavalerie. Mis en production dès 1936, une cinquantaine d’engins sont déjà livrés en 1938. Mais de tous les chars français de cette époque, le plus redoutable est sans conteste le char lourd B1 bis. Issu d’un prototype réalisé dès 1929, le B1 bis pèse 30 tonnes et possède un équipage de quatre hommes. Armé d’un canon de 75 mm dans la caisse et d’un 47 mm en tourelle, il dispose également de deux mitrailleuses. Au regard de son poids, sa vitesse de 21 km/h en tout terrain est très correcte, mais son principal atout repose sur son blindage de 60 mm. Cette protection le rend totalement invulnérable au tir de n’importe quel char contemporain. Lorsque s’ouvre la conférence de Munich en 1938, 70 B1 bis ont déjà été livrés.

Les blindés français tiennent la route face aux panzers allemands.

Panzer I suivi par deux panzers II en 1939. photo Bundesarchiv.

En 1938, l’armée française compte environ 500 chars modernes, un chiffre faible en comparaison des milliers de chars Renault FT qu’elle alignait en 1918. Mais il faut le confronter à ce dont l’Allemagne dispose au même moment. En 1938, les Allemands possèdent environ 2000 panzers. Hitler ne manque jamais de les exhiber lors de grands défilés destinés à effrayer des dirigeants européens attachés à la paix. Pourtant, dans la réalité des faits, ces panzers n’ont rien de redoutable. La majorité d’entre eux sont des Panzers I de seulement six tonnes. Armés de deux modestes mitrailleuses, ils ne peuvent rien contre les chars français. Ces minuscules blindés sont même inférieurs aux automitrailleuses que la France possède en grand nombre et qui sont généralement équipées de canons de 25 mm. En dehors de ce char très léger, Hitler possède aussi des Panzers II. Si ce dernier est un peu plus puissant, il n’est guère mieux armé. Il dispose d’une mitrailleuse et d’un canon de 20 mm qui ne peut percer aucun blindage des chars français contemporains. À cette époque, malgré quelques modèles de présérie de Panzer III et Panzer IV, la Wehrmacht est largement dominée par les blindés français. C’est dans ce contexte que s’ouvre la conférence de Munich.

la conférence de Munich le 29 septembre 1939, Hitler au centre, entouré à gauche du premier ministre britannique Neville Chamberlain et Edouard Daladier, à droite de Benito Mussolini

Munich, une occasion manquée pour les chars ?

Au mois de septembre 1938, Hitler se dit prêt à faire la guerre contre la Tchécoslovaquie. Cette petite nation est la seule République démocratique d’Europe centrale. Son indépendance a été voulue par la France qui est liée à elle par une alliance militaire. Malgré seulement 15 millions d’habitants, elle dispose de nombreux atouts. Tout d’abord, sa frontière face à l’Allemagne est défendue par un système de fortifications comparable à la ligne Maginot. De plus, si Hitler a réintroduit le service militaire trois ans plus tôt, l’armée tchécoslovaque dispose de cadres et de réservistes entraînés depuis vingt ans. Mais surtout, les Tchèques possèdent une industrie d’armement qui compte parmi les premières exportatrices au monde et ses usines Praga et Skoda produisent d’excellents chars. Face aux 2000 blindés légers allemands, elle possède 350 engins moyens des modèles LT 34 et LT 35 nettement supérieurs aux Panzers I et II. Ainsi, Français et Tchèques possèdent une incontestable supériorité en matière de blindés, mais Daladier renonce à défendre son alliée.

Char tchèque LTM 35 de 11 tonnes. Récupéré par les Allemands et renommé Panzer 35.

Les causes de ce renoncement sont connues. Au premier chef, le refus de Chamberlain de s’engager pèse lourd. En effet, la France de 1938 a subi une horrible hécatombe vingt ans plus tôt et ne se sent pas prête à faire la guerre sans son alliée britannique. Daladier renonce aussi à se lancer dans l’aventure, car il sait que l’armée de l’air française aura du mal à faire seule face à la Luftwaffe. Il faut dire que la propagande allemande, à force de parades et de visites d’usines a complètement intoxiqué les alliés en montrant une Wehrmacht pour plus forte qu’elle n’est. Mais ce qui manque le plus à l’armée française, c’est une doctrine offensive. En effet, comment venir au secours de son alliée en étant retranché derrière la ligne Maginot ?

Après Munich, la course contre la montre.

Contrairement à ses promesses, six mois après Munich, Hitler occupe Prague et la Bohème Moravie sans avoir à se battre. Il fait alors main basse sur les chars de l’armée tchèques, mais aussi sur les usines qui les fabriquent. Sila capitulation de Munich a permis de renforcer la Wehrmacht, elle a aussi le mérite de faire prendre conscience aux alliés que la guerre est inévitable. Contrairement à l’aviation, la France possède dès 1938 une gamme de chars modernes qui sont déjà en fabrication. En revanche, elle a davantage de retard sur le plan de la doctrine d’emploi. Dès 1934, dans « Vers l’armée de métier », le lieutenant-colonel de Gaulle préconisait la constitution d’un corps de soldats professionnels constituant six divisions cuirassées fortes chacune de 500 chars. À cette époque, d’autres généraux européens ont les mêmes idées et certains insistent beaucoup plus que de Gaulle sur le couple char/avion. En Allemagne le général Gudérian voit ses théories mises en œuvre par Hitler, alors que de Gaulle doit faire face au mur des politiques. À l’exception de Paul Reynaud qui le soutient, les autres responsables de la IIIe république retiennent seulement de son ouvrage le danger supposé d’une armée de métier. Certains, comme Léon Blum, y voient même le spectre du 18 Brumaire et du Boulangisme. Si de Gaulle avait été écouté en 1934, l’existence de divisions cuirassées françaises aurait pu peser sur la politique européenne. Elles auraient fait réfléchir Hitler lorsque ce dernier a remilitarisé la Rhénanie en 1936, annexé l’Autriche ou menacé la Tchécoslovaquie en 1938, mais après Munich il n’est plus temps d’avoir des regrets. Entre septembre 1938 et mai 1940, l’Allemagne accélère sa production de chars. Les modèles trop légers de 1938 sont renforcés par des modèles plus puissants comme le Panzer III. Avec son canon de 37 mm et ses 20 km/h en tout terrain, ce panzer n’a rien d’impressionnant pour les chars français équivalents. Son grand frère le Panzer IV est plus sérieux avec son canon de 75 mm, mais son blindage de30 mm est deux fois plus faible que celui du B1bis. En mai1940, l’Allemagne aligne un total de seulement 700 engins de type III et IV. Cette faiblesse rend indispensable l’utilisation de 334 chars moyens tchèques (Panzer 35 et Panzer38), soit un tiers de sa force de frappe. Mais la puissance des panzers ne repose pas sur le nombre ou sur la qualité, mais sur leur organisation. Dès 1935, les panzers sont tous réunis en grandes unités autonomes. Ces panzer divisions sont fortes de deux régiments de chars, un régiment d’infanterie motorisée, un régiment d’artillerie motorisée. Elles possèdent aussi leurs propres moyens de reconnaissance et de génie. De plus, ces grandes unités communiquent directement avec la Luftwaffe qui assurer ainsi un soutien tactique rapide. Au mois de mai 1940, l’Allemagne possède dix divisions de ce type. Elles se sont fait les griffes en écrasant l’armée polonaise en trois semaines au mois de septembre1939. Malgré ce succès, les généraux allemands savent qu’il sera plus difficile de vaincre l’armée française.

Le 30 octobre 1939, le colonel de Gaulle présente un de ses chars D2 au président Lebrun.
Le colonel de Gaulle et le Président Lebrun. Octobre 1939.

Deux visions différentes de la guerre.

De 1938 et 1940, la France accentue son avance sur le plan quantitatif. Son industrie permet d’aligner 2000 chars légers R35 et H39, 430 Somua S35et 370 B1bis. Sur le plan de l’organisation, de Gaulle commence enfin à être écouté. Une timide tentative a déjà été initiée pour réunir les chars en grandes unités. En 1938, deux divisions légères mécaniques (DLM) existent déjà qui réunissent près de400 blindés. Mais il faut attendre le mois de janvier 1940 pour voir enfin se réaliser le vœu de De Gaulle avec la création de deux divisions cuirassées (DCr). Au mois de mai, celles-ci sont renforcées par une troisième DLM et une troisième DCr que les Britanniques épaulent par une seule division blindée. En tout, les six grandes unités françaises ne concentrent qu’un tiers des chars de l’armée, car la majorité des moyens blindés français reste dispersée dans une multitude de bataillons de chars de combat. Une autre faiblesse vient du fait que seule une partie des chars français est attribuée aux unités. Le 10 mai 1940, des centaines d’engins modernes sont gardés en réserve dans les dépôts. Beaucoup y resteront.

Les panzers franchissent les Ardennes. Les trois premiers sont des Pz38 tchèques. Ils auraient pu combatte les Allemands mais se retrouvent contre les Français en 1940

Ce constat surprenant provient de la vision qu’Allemands et Français ont de la guerre. Face à deux grandes puissances industrielles, coloniales et maritimes, Hitler n’a pas la possibilité de faire une guerre longue. Les Français sont dans la position exactement inverse. Ils espèrent une guerre longue, car ils disposent de toutes les richesses du monde tandis que les Allemands sont soumis à un sévère blocus maritime. Citant Napoléon en préambule de Vers l’armée de métier, de Gaulle disait justement que « la politique d’un État est dans sa géographie ». Hitler l’a compris en mettant en action tous ses chars dès le premier jour, quitte à manquer de réserve si l’offensive échoue. L’armée française préfère garder beaucoup de chars dans ses dépôts, au risque de ne pas en avoir suffisamment à l’endroit où la Wehrmacht choisira d’attaquer.

Panzer III détruit en 1940.

Hannut et Gembloux. La première grande bataille de chars.

Le 10 mai, Hitler envahit brutalement la Hollande et la Belgique. Le général Gamelin, commandant en chef des armées alliées est ravi, car les Allemands font exactement ce qu’il avait prévu. Aussitôt, les meilleures unités franco-britanniques volent au secours de la Belgique. À leur tête se trouvent les 360 chars des 2e et 3e divisions légères mécaniques. Du 12 au 15 mai, le choc a lieu autour de Hannut et Gembloux contre près de 600 blindés des 3e et 4e panzer divisions. Dans cette première grande bataille de chars de l’histoire, les Français s’en tirent avec les honneurs. Si les canons des R35 sont insuffisants, le Somua domine ses adversaires. Malheureusement, l’épreuve du combat fait ressortir certaines faiblesses graves des chars français. Dans sa tourelle à une seule place le chef de char doit observer, commander son engin, charger, viser, tirer au canon et à la mitrailleuse. Au contraire, ses homologues allemands sont à trois pour exécuter les mêmes tâches dans des tourelles beaucoup plus grandes. Plus handicapant encore, les chars français sont sous-équipés en moyens radios. Ils ont du mal à coordonner leurs mouvements sur le champ de bataille contrairement aux panzers qui communiquent entre eux, mais aussi avec leur aviation. Car le principal danger vient d’un ciel dominé par la Luftwaffe. Alors que les Français ne bénéficient d’aucun soutien aérien tactique, les stukas attaquent en piqué les formations françaises. Le 15 mai, les DLM peuvent se replier. Leur mission qui consistait à freiner l’avance allemande a été remplie. Les coups portés aux panzers ont été sévères et les pertes des deux camps s’équilibrent. Mais le sort de la bataille est en train de basculer plus au sud.

Un Panzer II pendant la campagne de France.
Char B1bis_de la 3e DCr. Site chars-français.net.
Intérieur d’un B1bis avec à gauche le poste de pilotage et la culasse du redoutable 75 mm à droite.

La percée de Sedan.

B1bis l’Eure et son équipage commandés par le capitaine Billote. Il détruisit 13 panzers le 16 mai 1940. Site chars-français.net.
Panzer IV en 1940.

Char Renault D2. Ce bon char moyen ne sera livré qu’à 50 exemplaires dès 1938. Site chars-français.net.

Alors que deux DLM affrontent deux panzer divisions en Belgique, sept panzer divisions, soit 70 % des blindés allemands, sont en train de traverser les Ardennes. La surprise est totale pour les Français qui pensaient ce massif forestier infranchissable pour les chars. Dès le 14 mai, les premiers panzers ont franchi la Meuse en provoquant localement un vent de panique. Les 1er et 2e DCr tentent bien de s’opposer à la ruée des panzers, mais elles sont mal utilisées. Leurs chars sont dilapidés par petits paquets sans pouvoir mettre à profit leur puissance de feu. Mal ravitaillés, de nombreux engins tombent en panne d’essence à la suite de marches et de contremarches incohérentes. Au sud de Sedan, la 3e DCr tente également une contre-attaque. Là aussi, les excellents B1bis sont envoyés par petits groupes de deux ou trois, sans soutien d’infanterie ni couverture aérienne. C’est pourtant à Stonne, sur les hauteurs de Sedan, qu’un de ces chars réalise l’un des plus beaux faits d’armes de la campagne. Le 16 mai, le B1 bis Eure, commandé par le capitaine Billotte, tombe nez à nez avec treize panzers III et IV. Ces chars sont en colonnes des deux côtés de la rue principale du village. Aussitôt, le canon de 75 mm du blindé français détruit le char le plus éloigné tandis que le 47 mm de sa tourelle incendie le premier de la colonne. Incapable de manœuvrer, les panzers sont tous détruits les uns après les autres. À la suite de cet engagement, on comptera 140 impacts sur la cuirasse impénétrable du B1bis.Cet épisode montre qu’aucun panzer allemand n’est capable de stopper ce type de char, même à courte distance. Pourtant, l’Eure doit abandonner Stonne faute de soutien d’infanterie. Après avoir pris Sedan, les Allemands eux-mêmes sont surpris par l’ampleur de leur succès qu’il n’avait pas prévu. Suivant ses plans, l’État-major veut attendre que les divisions d’infanterie rejoignent les divisions de panzers avant de poursuivre l’offensive. Mais sur place, Guderian décide de foncer tant qu’il ne trouve pas de résistance. Il court alors le risque d’être attaqué de flanc par une réserve de chars français. Malheureusement, face à Churchill stupéfait, Gamelin avoue le 16mai qu’il n’a plus de réserve.

Panzer III de la Ve panzer-division. Détruits à la suite de nombreux impacts.

Montcornet et Arras sèment le doute.

La seule division cuirassée qui peut encore faire quelque chose n’existe pratiquement que sur le papier. C’est la 4e DCr du colonel de Gaulle. Une unité créée le 11 mai 1940. À partir du 15 mai, cette grande unité se constituera peu à peu tout en combattant. Car malgré la faiblesse de ses moyens, de Gaulle attaque le flanc sud de l’avancée allemande les 16 et 17 mai à Montcornet près de Laon. Après deux jours de combats, un convoi allemand a pu être anéanti et les Français font une centaine de prisonniers. De Gaulle a perdu 23 chars sur 85 engagés, dont plusieurs B1bis. Face à ces monstres de 30 tonnes, la Wehrmacht trouve la parade en utilisant comme antichar un puissant canon de 88 mm antiaérien. Cette solution sauvera souvent les Allemands face aux chars français. Sans soutien sur ses ailes, de Gaulle doit se replier. Ce demi-succès montre que des chars, si bons soient-ils, ne peuvent rien sans l’appui d’une infanterie motorisée et de l’aviation. Deux éléments qui font défaut à une 4e DCr incomplète dont les différentes composantes se rencontrent pour la première fois en pleine bataille. Un autre problème provient des terribles carences logistiques de l’armée française. Sur le champ de bataille, les chars sont très gourmands en essence, mais la plupart du temps le ravitaillement est chaotique. À Montcornet, des side-cars doivent transporter de lourds bidons de 50 litres dans leur baquet jusqu’aux premières lignes. En face, les Allemands bénéficient d’une meilleure organisation. Ils disposent notamment de nourrices de 20 litres que les Anglais surnommeront les « bidons boches », avant de copier ces très pratiques jerrycans. Faciles à manipuler et à transporter, ils permettent de refaire rapidement le plein avant de repartir au combat. Si le coup d’épingle de Montcornet n’arrête pas la poussée de Guderian, il constitue un succès moral tout en contribuant à entretenir l’inquiétude d’Hitler.

Heinz Guderian (1888-1954) en 1941.

Pour le führer, la ruée de Guderian risque de se terminer en désastre. Il pense que les alliés peuvent encore couper le couloir qui rattache ses panzers au gros de l’armée allemande. Celle-ci tente de suivre comme elle peut le rythme infernal des panzers. Car, contrairement à un autre mythe, l’armée allemande de1940 est très loin d’être complètement motorisée. Comme l’armée française, l’essentiel de ses divisions marche encore au pas lent des soldats et des chevaux. Pourtant, Guderian atteint la Manche à Abbeville dès le 20 mai. Il encercle ainsi les meilleures divisions alliées et remonte vers le nord pour fermer la nasse. Le lendemain, une timide contre-attaque franco-anglaise est enfin tentée à Arras. Les blindés français de la 3e DLM y infligent des pertes significatives aux panzers de Rommel qui pense avoir cinq divisions face à lui. Si les Anglais renoncent rapidement, le mordant des blindés alliés renforce les inquiétudes d’Hitler. Alors que les 200000 Britanniques de Lord Gort se replient vers Dunkerque, le 24 mai le führer ordonne à Guderian d’arrêter ses panzers à quelques heures de marche du dernier port encore libre. Cet ordre étonnant permet aux Anglais de transformer un désastre en miracle en sauvant l’essentiel de leurs soldats. Les motivations d’Hitler sont multiples, mais les équipages de chars français y ont pris leur part en semant le doute dans son esprit.

Panzer IV.

Abbeville, le dernier sursaut.

Profitant de ce répit inespéré et grâce au sacrifice des troupes françaises qui défendent le port et ses environs, les Anglais rembarquent un maximum de soldats à Dunkerque. Pendant ce temps, Weygand, qui a remplacé Gamelin le 19 mai, tente de rétablir une ligne de défense sur l’Aisne et la Somme. Sur ce fleuve, les Allemands ont déjà ménagé une solide tête de pont au sud d’Abbeville. C’est de Gaulle, général à titre provisoire qui doit la réduire avec une 4eDCr à peu près complète, soutenue par une division d’infanterie coloniale. Du 28 au 30 mai, il multiplie les assauts contre la 2edivision d’infanterie allemande. Après des débuts prometteurs qui provoquent un début de panique chez les Allemands, l’attaque échoue sur le mont Caubert. Sur cette colline qui domine le champ de bataille, les Allemands ont placé leurs redoutables canons de 88 mm qui détruisent un grand nombre de chars français. Au soir du 30 mai, de Gaulle doit renoncer après avoir perdu les deux tiers de ses 170 chars. Malgré ses objectifs limités, Abbeville constitue la dernière tentative de contre-attaque organisée. Dès le 8 juin, la « ligne Weygand » est percée. Désormais, la France ne pourra plus que subir. Ses derniers chars seront pour la plupart abandonnés et sabordés après être tombés en panne d’essence.

B1 bis l’Adroit 8e Bataillon de Chars de Combat. Suite à des avaries ou de simples pannes d’essence, beaucoup de chars français tombent intacts aux mains des Allemands. Site chars-français.net.

Le 4 juin, de Gaulle est appelé par le président du conseil Paul Reynaud, le seul homme politique à avoir cru à ses théories. Pour avoir eu raison avant les autres et parce qu’il a combattu sur le front, Reynaud fait de ce général de49 ans son sous-secrétaire d’État au ministère de la Défense nationale et de la guerre. Deux semaines plus tard, de Gaulle s’envole pour Londres en devenant « l’homme du destin ». En dépit de quelques défauts de conceptions, les chars français étaient plus nombreux et plus performants que leurs homologues allemands. Au combat, les équipages ont souvent fait preuve d’une bravoure exceptionnelle, mais celle-ci ne pouvait pas compenser l’erreur fatale du haut commandement. Saupoudrés sur l’ensemble du front, ils n’ont rien pu faire face à un ennemi qui a concentré ses meilleures forces sur un point précis. Juste après la campagne de France, le général Delestraint schématisera ainsi la situation, les Allemands… formaient trois paquets de mille (chars), et nous mille paquets de trois. Bénéficiant aussi d’un soutien aérien supérieur et d’une parfaite coordination entre l’aviation et les chars, les panzers ont pu donner une impression de toute puissance. Pourtant, rien n’était écrit d’avance. D’après l’historien allemand Karl-Heinz Friese, l’armée allemande de 1940 ressemblait à une lance avec une pointe d’acier trempé, dont le manche en bois paraissait d’autant plus pourri qu’il était long. Un échec des panzer divisions face à des chars français mieux employés était possible et aurait eu des conséquences incalculables… mais on ne peut pas refaire l’Histoire.

Eric Teyssier est professeur d’histoire à l’université de Nîmes.

À propos de l’auteur
Eric Teyssier

Eric Teyssier

Eric TEYSSIER : Agrégé et docteur en histoire, diplômé en sciences politiques, Éric Teyssier est maître de conférences HDR à l’université de Nîmes. Il enseigne l’histoire romaine, l’histoire de l’art antique mais aussi l’histoire de la seconde guerre mondiale. Auteur de nombreux ouvrages, de biographies remarquées, Spartacus, Pompée, Commode, il a publié en 2018 un premier roman Napoléon est revenu ( Ed. Lemme Edit) et prépare une suite à L’an 40 la bataille de France ( Ed. Michalon).
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